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Quel taux d'actualisation retenir pour valoriser les investissements à Long Terme? C.GOLLIER

20-11-2013

Même s’il ne fait jamais la une des médias, cette problématique occupe une place importante dans les esprits, à la fois au sein des gouvernements et dans les entreprises :

Quelle valeur donner à l’avenir ?

Ou, plus précisément, comment actualiser, quelle valeur attribuer maintenant à un profit ou à un bien-être collectif qu’apportera à long terme un investissement réalisé aujourd’hui ? Dans les entreprises, le calcul est fait tous les jours. Tout investissement doit dégager des bénéfices suffisants, une fois leur valeur future actualisée, pour être avalisé.

Mais quel doit être le taux d’intérêt qui actualise ces bénéfices à venir ?

Une question fondamentale pour les investissements publics.Que ce soit pour une entreprise ou un gouvernement, déterminer le taux d’actualisation d’un bénéfice futur, ou d’un dommage causé durablement à l’environnement, est un choix fondamental.

Retenir un taux d’intérêt élevé,c’est considérer que la richesse des générations futures, croissance aidant,ne justifie pas outre mesure des sacrifices en leur faveur.

Que signifie un taux d'actualisation faible ?

Un taux faible doit être retenu si cette prospérité future n’est pas assurée, compte tenu des incertitudes sur la croissance, sans parler de l’état à venir de la planète.Christian Gollier préconise ce dernier choix: un taux faible.

Christian Gollier est actuellement Directeur de la fondation Jean-Jacques Laffont /Toulouse School of Economics (TSE), membre senior de l’Institut Universitaire de France, et chercheur du Laboratoire d’Economie des Ressources Naturelles (LERNA) une unité de recherche en économie de l’environnement associée à l’INRA et au CNRS, qu’il a antérieurement dirigée. Par ailleurs, il est Directeur de recherche à l’Institut d’Economie Industrielle (IDEI) .Il est également membre du conseil d’administration de La Mondiale, l’une des dix premières compagnies d’assurance-vie françaises. L’ouvrage Pricing the Planet's Future: The Economics of Discounting in an Uncertain World  deChristian Gollier cherche à établir une théorie du taux d’actualisation, en rappelant l’ensemble des travaux précédents et en les enrichissant.

Il revient ainsi sur la règle de Ramsey, qui, la première, a théorisé les modalités de détermination d’un taux optimal d’actualisation.

Mais il enrichit cette théorie en l’appliquant aux environnements incertains ou à risque, ce qu’elle ne prévoit pas.
Christian Gollier prend en compte, en outre, les événements dits extrêmes.

Surtout, il remet en cause l’hypothèse centrale de l’ensemble de la littérature portant sur la problématique de l’actualisation, à savoir une augmentation constante de la consommation de 2% par an sur le long terme telle que constatée depuis 200 ans.

La question se pose-t-elle pour les politiques ? 

La question se pose aussi pour les gouvernements.De façon très concrète. Au moment de décider la construction d’une nouvelle ligne ferroviaire (Lyon-Turin, par exemple), dont la rentabilité se mesurera sur des dizaines d’années, il faut choisir un taux d’intérêt, qui déterminera l’avenir du projet. Si ce taux est élevé, l’investissement apparaîtra difficilement intéressant, la rentabilité à venir étant ramenée à peu de chose et pour le développement durable.

Et pour le développement durable ?

Cette problématique peut être étendue à celle du développement durable. Car s’il est possible d’estimer la valeur actuelle d’un profit futur, il est tout aussi nécessaire d’actualiser le coût d’un dégât environnemental à venir. On peut ainsi calculer les dommages futurs potentiels provoqués par l’émission aujourd’hui d’une tonne de CO2. S’agissant d’un impact à très long terme, leur valeur actuelle dépendra beaucoup du taux d’intérêt retenu.

Ainsi, en utilisant un taux d’actualisation de 5 %, l’économiste Nordhaus évalue en 2008 à huit dollars les dommages actualisés d’une tonne de CO2 rejetée aujourd’hui dans l’atmosphère.Retenant un taux beaucoup plus faible, de 1,4%, Stern parvient à un prix de 85 dollars.

Ce qui change tout : les dégâts apparaissent alors tellement élevés que les politiques de réduction d’émissions deviennent prioritaires.

Sommes-nous trop égoïstes ou... pas assez ?

L’ouvrage de Christian Gollier rend compte de l’ensemble des débats sur la détermination du taux d’actualisation.

Et il pose une question fondamentale : sommes-nous trop égoïstes, en investissant insuffisamment pour le bien-être des générations futures, ou sommes-nous, au contraire, trop vertueux ?

Au lieu de penser aux êtres humains qui vivront dans plusieurs dizaines d’années,les générations présentes ne devraient-elles pas consommer plus aujourd’hui, pour éradiquer la pauvreté dans le monde, par exemple ?

La question peut se poser légitimement. Car si une croissance économique positive, importante, est anticipée pour les années à venir, alors investir dans des projets collectifs qui porteront leurs fruits à long terme, ou tout mettre en œuvre pour réduire la dépense publique, revient à se priver aujourd’hui pour enrichir encore des personnes demain qui le seront beaucoup plus que nous le sommes. Dans ce cas, un taux d’actualisation important se justifie.

Rappelons que, grâce à une hausse moyenne de 2% l’an, la consommation de biens et services est aujourd’hui 50 fois supérieure à son niveau de l’époque napoléonienne !

C’est ce que les économistes appellent l’inégalité intertemporelle, qui constitue l’un des trois déterminants du taux d’actualisation selon la règle établie par l’économiste Frank P. Ramsey. Les deux autres déterminants sont l’impatience le fait que tout individu préfère disposer d’un bien immédiatement plutôt que dans quelques années et le taux de croissance de l’économie.

De grandes incertitudes sur la croissance qui justifient un taux d’actualisation réduit.

Mais peut-on vraiment tabler sur une poursuite indéfinie de la croissance économique, hypothèse qui justifie un taux d’actualisation élevé ?

On peut en douter, surtout pour le long terme, tant les incertitudes sont grandes sur l’avenir et les innovations futures. La prudence et l’accumulation des incertitudes sur le niveau de prospérité des générations les plus éloignées de nous justifie de retenir deux taux d’actualisation. Le premier s’appliquerait à un horizon de quelques années, pour lequel on peut encore tabler sur une croissance de l’ordrede 2%, ou un peu moins. Dans ce cas, un taux de d’actualisation autour de 3,5 % est envisageable, à moduler en fonction des perspectives de croissance de court terme.

En revanche, à très long terme, rien ne dit qu’un tel taux de croissance sera atteint. Il a été pendant longtemps dans l’histoire humaine d’un niveaumoyen bien inférieur. En outre, la croissance subit de nombreux chocs, qui la rendent incertaine. C’est d’autant plus vrai à l’heure du dérèglement climatique. Voilà pourquoi, pour des horizons très longs, un taux d’actualisation proche de 1,5 % se justifie.

Christian Gollier a contribué à ce que le gouvernement français retienne ainsi, depuis 2005, deux taux : l’un à 4 % actualisant les fruits de l’investissement en-dessous de 30 ans, et de 2 % au delà.

Choisir un taux d'actualisation n'est ce point avoir une vision optimiste ou pessimiste de l'avenir ?

Le choix du taux d’actualisation des investissements publics à long terme reflète notre vision de l’avenir. Un taux élevé, synonyme de préférence pour le présent, conduit à refuser des investissements importants pour les générations à venir, en estimant qu’elles bénéficieront d’une forte expansion. La croissance économique risquant de devenir tendanciellement très faible, un taux d’actualisation prochede 2% semble adéquat pour prendre en compte les générations futures.

Plus d'infos:

Cahier Institut Louis Bachelier Cahier N°10 Mai 2013

Pricing the Planet's Future: The Economics of Discounting in an Uncertain World / Christian Gollier

 




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