15-12-2013
Le jeune économiste français Gabriel Zucman offre un livre sur les paradis fiscaux, "la richesse cachée des nations. Enquète sur l'évasion fiscale . En construisant de nouvelles estimations de leur poids, en suggérant des propositions originales pour les combattre et en appelant l’attention sur la possibilité de les sanctionner, il offre une analyse supplémaire sur ce sujet. On pourra lui reprocher quelques petites erreurs sans importance, regretter qu’il ne traite qu’une partie du sujet ou bien de ne pas s’interroger assez sur les conditions politiques des solutions qu’il propose.
Le fait qu’un économiste enseignant à la London School of Economics et chercheur à Berkeley – autant dire parmi la crème des universités mondiales – s’intéresse aux paradis fiscaux contribue déjà à valider le fait que ce thème est important pour qui veut comprendre le fonctionnement de l’économie contemporaine.
Selon Gabriel Zucman, économiste enseignant à la London School of Economics et chercheur à Berkeley , la Suisse gère 1800 milliards d’euros essentiellement non déclarés. Entre 50 et 60 % de ces avoirs appartiennent à des Européens. Gabriel Zucman retrouve là une loi qui semble vérifiée partout : la fraude et l’évasion fiscale sont d’abord organisées dans des réseaux de proximité.
Ainsi, les trois premiers clients de la Suisse seraient l’Allemagne (200 Mds dissimulés), la France (180 Mds) et l’Italie (120 Mds). Ils passent généralement par les îles Vierges britanniques pour dissimuler leur identité et privilégient le placement dans des fonds luxembourgeois. « Îles Vierges britanniques-Suisse-Luxembourg : voilà le trio infernal aujourd’hui au cœur de l’évasion fiscale européenne », conclut l’auteur.
Gabriel Zucman estime de 5800 milliards d’euros détenus sur des comptes situés dans les paradis fiscaux. Une estimation présentée comme basse par l’auteur pour qui la fourchette haute est de l’ordre de 8000 milliards d’euros. Selon l’auteur, 20 % de ces avoirs seraient déclarés et 80 % dissimulés donc de 4600 à 6400 milliards.
Une estimation beaucoup plus basse que celle de 21 000 à 32 000 milliards de dollars, soit 15 000 à 24 000 milliards d’euros proposée à l’été 2012 par James Henry. Une partie de l’écart s’explique par le périmètre différent de l’estimation, Henry inclut dans ses estimations des dépôts à l’étranger réalisés par des entreprises.
Gabriel Zucman estime à 130 milliards d’euros par an les recettes fiscales perdues par les pratiques de dissimulation des riches, dont 17 milliards pour la France.
En s’appuyant sur les données de la banque centrale suisse mentionnées plus haut, entre l’automne 2009 et l’automne 2013, le montant des fortunes étrangères gérées en Suisse a augmenté de 14 % !
Le Forum global sur la transparence fiscale a pointé que 4 pays marqués en rouge sont « non compliant », ne font vraiment pas assez d’effort, Chypre, les Îles Vierges britanniques, les Seychelles et, surtout, le Luxembourg. La Suisse et 13 autres pays n’ont même pas réussi à passer la 1ère phase d’évaluation qui leur permettrait d’être classés !
Le G20 a fini par valider politiquement en septembre 2013 la nécessité de passer à l’échange automatique d’informations fiscales, tout comme l’Union européenne lors du conseil européen du 22 mai dernier, tout comme les Etats-Unis avec les établissements financiers privés par l’intermédiaire de la loi Fatca.
Toutes ces avancées n’en sont pas pour Gabriel Zucman car elles font l’hypothèse que les paradis fiscaux joueront le jeu et donneront des informations, ce qui ne sera pas le cas. Et ce, d’autant plus, que rien n’est prévu pour vérifier qu’ils le feront bien et qu’aucune sanction n’est explicitement prévue non plus pour ceux qui ne joueront pas le jeu.
Selon les chiffres de la BNS, l'évasion fiscale prospère .
Les Etats-Unis ont fait un progrès important dans la lutte contre l'évasion fiscale. Mais la lutte contre les paradis fiscaux ne peut s'arrêter là ni s'en remettre aux lanceurs d'alerte. C'est insuffisant et ne montre pas que le secret bancaire est fini.
La France venait de signer un traité d'échange d'informations avec la Suisse, mais pas avec Singapour.
Depuis mars 2009, la Suisse a signé 42 conventions de double imposition conformes aux standards internationaux. Cela n'a-t-il pas enterré le secret bancaire?
Ces conventions n'ont aucune valeur parce que le nombre d'informations échangées en pratique - une centaine entre la France et la Suisse - est ridiculement faible. Et ce constat n'est pas vrai que pour les relations avec la Suisse.
L'échange automatique de ces informations n'est pas la la panacée.
On ne peut pas faire confiance aux banques. Les gouvernements sous-estiment l'opacité financière. En particulier, ils n'ont pas pris acte du fait que la majorité des avoirs des ultra-riches est détenue via des trusts, des sociétés-écrans, des holdings dont le but est de faire disparaître le propriétaire légal des fonds. Tout en respectant la lettre, mais pas l'esprit, de la réglementation internationale, les banques pourront toujours faire valoir qu'elles ont peu de clients français ou anglais. Pour rendre le système transparent, Gabriel Zacman propose la création d'un cadastre fiscal mondial, sur le modèle du cadastre immobilier.
L'Angleterre pratique l'échange automatique sur la fiscalité de l'épargne.Et que dire du Delaware, où on ne connaît pas les ayants droit économiques, et de Miami, centre de l'évasion fiscale sud-américaine?
80% des avoirs sont non déclarés en se basant sur les chiffres de la BNS: l'évasion fiscale prospère. Sur les 1800 milliards d'euros placés en Suisse par les étrangers, une quantité négligeable est placée en francs, en raison de l'impôt anticipé qui ne permet pas de frauder.
En 2011, 36% des dépôts en Suisse appartenaient à des investisseurs institutionnels étrangers (34% en 2008), 14% à des particuliers étrangers (18% en 2008), 3% à des entreprises étrangères (4%)...
Ces statistiques classent comme « institutionnelles » les holdings financières utilisées par les ultra-riches. La BNS montre, dans une autre statistique, qu'une partie croissante des avoirs privés est détenue par ces structures. Les personnes qui ont 100 millions de patrimoine passent par des holdings financières. La frontière entre institutionnels et privés est donc floue.
Le Conseil fédéral a annoncé la fin du secret bancaire mais, pour Gabriel Zacman, c'est une hypocrisie...
14%, c'est moins que la hausse au niveau mondial, de 25%. Il y a eu une relocalisation des fortunes offshore, au profit de Singapour et de Hongkong, comme le montrent les chiffres de la Banque des règlements internationaux .
Aucun signe ne permet de penser que la voie de l’affrontement direct entre Etats se prépare. Si c’est la condition pour avancer dans la lutte contre les paradis fiscaux, ils ont encore de beaux jours devant eux car aucune coalition politique n’est aujourd’hui prête à prendre cette voie.
Les ONG réclament depuis plusieurs années l’établissement de registres publics des trusts, fondations et autres structures juridiques qui permettent de cacher les véritables propriétaires des titres financiers avec l’hypothèse implicite que les autres déclarent leurs possessions et que les fiscs en sont déjà informés.
Les multinationales disposent à cet effet de bien plus que deux grandes techniques pour organiser leur optimisation fiscale (les prêts intra groupes et la manipulation des prix de transfert). On peut citer ausi le recours aux produits hybrides et le marché des produits dérivés .
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