31-07-2014
" La notion de « ruralité », susceptible de concerner 80% du territoire, ne fait plus sens.
Elle est aujourd’hui dépassée par le fonctionnement du « système territorial » fait de centralités, de réseaux et de flux (de personnes, de biens, d’activités, d’informations…) à toutes les échelles, en interaction permanente et évolutive. Désormais dépendants les uns des autres, les territoires recèlent des capacités et des besoins différenciés qu’il est utile d’appréhender.
En ce sens, l’hyper-ruralité existe bel et bien : 26% du territoire accueillent seulement 5,4 % de la population française et se distinguent, outre la faible densité de population, par le vieillissement, l’enclavement, les faibles ressources financières, le manque d’équipement et de services, le manque de perspectives, la difficulté à faire aboutir l’initiative publique ou privée, l’éloignement et l’isolement sous toutes ses formes. En un mot : un entassement de handicaps naturels ou créés.
L’expertise contredit cependant cette idée reçue à deux niveaux.
D’une part, l’hyper-ruralité s’avère en réalité indispensable au développement métropolitain : en termes d’aménités, de loisirs et de ressourcement, mais aussi de patrimoine, de capital naturel, de production agricole... Elle est porteuse en son sein de ressources et de potentiels de développement économique, social et écologique pouvant être mises au service de tous.
Elle possède aussi des atouts et capacités qui jouent chaque jour un peu plus en sa faveur. A la congestion urbaine, l’insécurité croissante, la difficulté d’accès au logement, le « mal vivre » dans les villes,… s’oppose le potentiel de l’hyper-ruralité : un cadre de qualité, un foncier accessible, des relations de proximité souvent solides, favorables à la nécessaire relocalisation d’activités et la recherche de meilleures conditions de vie.
D’autre part, les inégalités territoriales, auparavant atténuées par la convergence des niveaux de développement entre régions et les mécanismes de redistribution publique, se creusent de nouveau gravement, faisant subir aux territoires hyper-ruraux une accumulation persistante de handicaps dont la plupart ne relèvent pas de la fatalité mais de choix de société, assumés ou non. Le déficit croissant en services publics et de santé, le retard flagrant en matière de desserte numérique, la persistante d’infrastructures de transports insuffisantes qui entretiennent l’enclavement ou encore les faibles ressources financières de collectivités locales sur-sollicitées face aux besoins, ne sont pas liés au seul contexte géographique.
En dépit de cette adversité, les habitants et acteurs de l’hyper-ruralité, qui n’ont pas encore baissé les bras, se mobilisent, individuellement ou collectivement, parfois avec succès mais dans un véritable parcours du combattant.
Les attentes à court terme de ces territoires, trop souvent présentées et comprises comme un perpétuel « retard à combler ». Leurs combats défensifs incessants, absorbent l’énergie des forces vives et les empêchent de penser librement l’avenir. Focalisés sur leurs difficultés de court terme et du fait des menaces qui pèsent constamment sur eux, les territoires hyperruraux sont finalement « assignés » à une politique exclusivement défensive se résumant à:
« Comment ne pas perdre cela après tout le reste… »
En réalité, l’action publique, supposée combattre ces inégalités, les a accentuées sur bien des aspects, pour des raisons diverses :
- la décentralisation a conduit l’Etat à renoncer à une vision stratégique d’aménagement du territoire national et, outre une concurrence absurde, a entraîné la plupart des collectivités à reproduire, à leur échelle, une hyper-centralisation préjudiciable à l’hyper-ruralité, au profit des grandes villes, agglomérations et capitales régionales ;
- les services de santé, la téléphonie mobile, Internet et les services et infrastructures de transports sont aujourd’hui essentiels à la population et
constituent la base de l’attractivité résidentielle et économique. Mais malgré les solutions disponibles, ils restent très insuffisamment déployés dans les territoires hyper-ruraux, du seul fait des choix retenus par les pouvoirs publics. Ceci entrave directement la mise en capacité de l’hyper-ruralité, quels que soient ses efforts pour s’en sortir ;
- l’inflation continue des normes, régulièrement dénoncée, l’alourdissement des procédures et donc des charges incompressibles pour y faire face, la technicité de l’ingénierie administrative, technique, financière, juridique… qu’il faut désormais savoir réunir, in situ ou avec des concours externes, est globalement hors d’atteinte des compétences et des moyens de l’hyper-ruralité ;
- la réorganisation territoriale des services de l’Etat (notamment avec la RGPP), qui a accentué la perte de culture territoriale et la concentration de l’expertise dans les échelons supérieurs et les centres urbains, s’est globalement faite au détriment des territoires hyper-ruraux.
Quant aux aides financières de l’Etat aux territoires ruraux, elles s’avèrent peu efficaces et insuffisamment discriminantes. En outre, elles contribuent à entretenir à tort, dans les villes et les lieux de décision, l’idée que l’on fait encore beaucoup, voire trop, pour une ruralité toujours « pleureuse » - éventuellement sur-représentée - et qui refuserait de prendre son avenir en main, alors que la décentralisation lui en offre la possibilité.
Derrière ces constats, apparaît le fait que les politiques, « urbano-centrées » d’un Etat de plus en plus « hors sol » ou « déterritorialisé », sont aussi largement orientées par des réflexes culturels, des méthodes, des critères et des indicateurs chiffrés très souvent inadaptés, qui
entretiennent le système et placent l’hyper-ruralité systématiquement hors jeu.
Dès lors, des réponses réalistes doivent s’opposer à cette « fatalité qui n’en est pas une. »
Inspiré par l’approche pragmatique et efficace de la politique nationale de ruralité du Québec, le rapport propose un pacte national pour l’hyper-ruralité.
Celui-ci est justifié à trois titres :
1. au nom de la mise en œuvre effective et urgente du principe d’égalité des territoires, dont il pourrait constituer une première traduction politique d’envergure ;
2. parce que les 26% de territoires hyper-ruraux en France ont la capacité réelle de participer au développement national, à la création de richesses et d’emplois, et à la qualité de vie ;
3. parce qu’intervenir trop tard, après effondrement de l’hyper-ruralité, coûterait in fine beaucoup plus cher à l’Etat et au pays dans son ensemble.
Fixant des objectifs clairs sur le long terme, le pacte s’appuie sur des mesures opérationnelles pouvant faire l’objet d’une évaluation et d’une actualisation régulières :
- Mesure 1 : L’obligation de traiter de l’hyper-ruralité dans les lois, la planification, la programmation ;
- Mesure 2 : L’engagement de non décroissance du signal républicain appuyé sur la notion de missions délocalisées au bénéfice de l’hyper-ruralité » ;
- Mesure 3 : La création d’un « guichet unique hyper-ruralité » piloté par l’Etat,rendre possible l’initiative qui ne l’était pas, ou pas facilement ;
- Mesure 4 : La règle de « démétropolisation », c’est à une troisième décentralisation intelligente que nous appelons, depuis les métropoles, les grandes villes et les capitales régionales vers les territoires hyper-ruraux ;
- Mesure 5 : La création d’un pôle national d’expertise, mettre l’intelligence de l’Etat au service de l’hyper-ruralité ;
- Mesure 6 : Le droit à la pérennisation pour les expérimentations efficientes, valoriser les modèles performants et leur permettre d’innover au service de l’ensemble de la France;
Elles sont complétée de 4 recommandations portant sur des problématiques connexes mais déterminantes pour compléter la mise en œuvre des mesures:
- Recommandation 1 : Constituer des intercommunalités fortes et assurer la représentation des maires et élus de l’hyper-ruralité ;
- Recommandation 2 : Moderniser la péréquation et stimuler de nouvelles alliances contractuelles ;
- Recommandation 3 : Revaloriser les fonctions publiques de l’hyper-ruralité ;
- Recommandation 4 : Instaurer une politique énergique pour revitaliser l’habitat ancien des petites villes et centres bourgs de l’hyper-ruralité.
Il ne peut y avoir de sous-territoire, de même qu’il ne peut y avoir de sous-citoyen et de minorité sacrifiée et interdite d’avenir au profit… non pas tant du bien-être de la majorité mais plutôt du seul respect d’une vision dominante, nourrie par les habitudes, les indicateurs,
et la mécanique des processus de décision.
La solidarité républicaine et la cohésion nationale doivent l’emporter, en s’appuyant sur un Etat modernisé et « vertébré ». La remise en capacité des territoires hyper-ruraux concourt à l’avenir démographique, économique et social de 26 % de l’espace national, donc au potentiel de développement et d’égalité pour l’avenir de la France dans son ensemble "
Plus d'infos:
Hyper-ruralité : rapport établi par M. Alain BERTRAND, Sénateur de Lozère remis à Mme Sylvia PINEL, Ministre du Logement et de l’Égalité des territoires dans le cadre de la mission confiée par M. Manuel Valls, Premier Ministre. Un pacte national en 6 mesures et 4 recommandations pour «restaurer l’égalité républicaine ». Juillet 2014
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