03-05-2015
Pensez-vous que l'ISF sera supprimé en France un jour ?
C'est une question qui revient régulièrement dans les débats depuis... la création de l’impôt sur les grandes fortunes (l’IGF) en 1981…A mon avis, l'ISF n'est pas prêt d'être supprimé d'autant que, dans la mémoire politique, l'échec de la droite aux présidentielles de 1988 est largement dû à l'erreur qu'aurait constitué l’abrogation de l’IGF en 1986. J’entends l’antienne depuis la première édition de mon livre « L’ISF, théorie et pratiques * »…il en est à sa 16ème édition en 2015. En réalité, l'ISF est un impôt bien ancré dans le paysage fiscal et de plus en plus stabilisé. Cet impôt rapporte environ 5 milliards par an (5,3 milliards en 2014), mais il ne concerne que 300.000 personnes, soit une infime proportion de la population française (soit moins de 1% des 36 millions de foyers fiscaux), ce qui explique sa grande popularité. Je pense qu’aucun gouvernement ne sera prêt à le supprimer avant longtemps.
Le faible rendement de cet impôt est-il dû à la fraude?
Le coût de la collecte de l’ISF en tant que tel n’est pas plus élevé que celui des autres impôts (probablement 2 ou 3% de la collecte), ce qui en fait un impôt budgétairement non rentable, ce sont les comportements qu’il induit chez nos compatriotes fortunés. En effet, de nombreuses grandes fortunes ont quitté, parfaitement légalement, le territoire pour ne pas avoir à l’acquitter, surtout après la vente d’une entreprise dont la détention en tant que dirigeant les exonérait au titre de l’outil de travail. Une vague de départ a été constatée dans les années 90’ et l’on peut estimer à au moins 200 milliards euros le patrimoine de ces expatriés fiscaux. Même si le nombre des nouveaux exilés fiscaux est désormais modeste (environ 500 par an), les patrimoines des résidents qui ne sont plus imposables en France ne diminuent pas.
J’estime que le manque à gagner des délocalisations passées pour l’État et dû à ces départs, est chaque année de l'ordre de 8 à 10 milliards d'euros du fait de la disparition de la base taxable en France.
La Suisse reste un pays d’accueil si l'on peut bénéficier d'un forfait fiscal, sinon l’imposition y est presque aussi lourde qu’en France (avec également un impôt sur la fortune). Depuis quelques années, le Maroc et plus récemment le Portugal attirent beaucoup de contribuables, le plus souvent retraités car, outre leur climat agréable, ces pays ont voté des avantages fiscaux pour attirer les grandes fortunes et les retraités étrangers.
Lorsqu’on évoque les expatriations, il faut toujours distinguer les exilés et les fraudeurs: les fraudeurs sont des contribuables français qui trichent en ne déclarant pas tout ou partie de leur patrimoine, en le cachant à l'étranger, ou en pratiquant des montages frauduleux. Les médias ont tendance à confondre l'exil fiscal qui est parfaitement légal et la fraude fiscale qui est traquée par les services fiscaux. La fraude à l'ISF représenterait toutefois selon la DGFIP 20% de l'impôt ISF perçu, soit beaucoup moins que le manque à gagner dû à l'exil fiscal légal (du double des recettes de l’ISF).
Quels sont les montages ou subterfuges frauduleux les plus évidents à éviter ?
On est parfois surpris par la naïveté de certains montages. Que penser de ces contribuables un peu crédules qui retirent entre le 25 et le 31 décembre plus de 100 000 euros sur leur compte bancaire pour le créditer de nouveau en début d'année suivante, ce qui leur permet de diminuer artificiellement leur base taxable. Inutile de dire que le fisc peut très facilement détecter ce stratagème sans même mentionner le risque de déclaration de soupçon à TRACFIN ou celui de se voir imposer sur les sommes créditées en janvier. S’agissant de manœuvres frauduleuses, les pénalités portent sur 80% de l’ISF non déclaré.
D'autres contribuables mal informés ou peu scrupuleux font l’erreur de ne pas déclarer tous leurs revenus dans le cadre du plafonnement de l’ISF (qui limite à 75% des revenus perçus en 2014 le montant total des impôts directs à payer en 2015, y compris l’ISF). En effet les revenus pris en compte ne correspondent pas au revenu fiscal de référence mais incluent tous les revenus exonérés notamment les revenus des livrets défiscalisés et surtout l’éventuelle plus-value sur la vente de la résidence principale. Ce manquement délibéré (ex mauvaise foi) se traduira par des pénalités de 40% de l’ISF supplémentaire à payer. Enfin l’administration fiscale est de plus en plus outillée pour repérer des placements à l'étranger non déclarés. Il est en revanche plus difficile pour les services fiscaux de détecter une minoration (ou même une absence totale de déclaration) du montant de votre cave à vin.
Comment réduire son impôt ISF légalement et sans risque de redressement à ce jour ?
Il faut considérer deux types de stratégies. L'une à long terme, l'autre à court terme. A court terme, pour l’ISF 2015, vous n'avez plus beaucoup de choix d'ici le mois de juin. Vous devez investir dans des placements ouvrant droit à des réductions d'impôts sur l'ISF. Si vous n'avez rien prévu pour réduire le montant de votre ISF, vous pouvez encore, pendant plusieurs semaines, réduire la douloureuse en investissant dans les PME. Vous pouvez le faire soit en investissant directement au capital de PME (le plafond de la réduction d’ISF est alors de 50 % des versements effectués dans la limite de 90 000 euros, soit une réduction d’ISF de 45 000 euros), soit indirectement via un FIP (fonds d’investissement de proximité) ou un FCPI (fonds commun de placement dans l’innovation) et dans ces deux cas la réduction d’ISF est plafonnée à 18 000 euros au lieu de 45 000 euros pour un investissement direct. La réduction d'ISF au titre des dons à certains organismes d'intérêt général est encore plus intéressante fiscalement car elle est de 75% des montants donnés, limitée à une réduction d’ISF de 50 000€. Si vous sollicitez cumulativement le bénéfice de la réduction pour investissement dans les PME et celui de la réduction pour dons, le plafond global annuel de réduction de l’ISF est fixé à 45 000 €.
A plus long terme, quelle stratégie envisager ?
Pour diminuer sa base taxable de l'ISF à long terme, il existe plusieurs pistes : être propriétaire de sa résidence principale donne droit à un abattement de 30% sur la valeur du bien, ne pas hésiter à transférer une partie de son patrimoine en droits à la retraite (rachat de points ou de trimestres) exonérés d'ISF, acheter les murs de sa société pour les lui louer, étudier la possibilité de choisir le statut de commandite par actions, transformer les comptes courants d'associés en capital si l'on est dirigeant d'entreprise, et enfin utiliser des techniques de transfert de propriété (cession temporaire d'usufruit, donation en pleine propriété, donation-partage, cession totale d'usufruit ) ou transférer une partie de son patrimoine (5 à 10 %) en bien exonérés en tout ou partie (œuvres d'art, forêts). Ces stratégies patrimoniales doivent être mûrement réfléchies et il est utile de se faire conseiller par un conseil en gestion de patrimoine (il existe en France environ 5 000 conseillers en gestion de patrimoine indépendants et près de 20 000 conseillers en gestion de patrimoine ou banquiers privés GP au sein des banques).
Pensez-vous que cet impôt soit justifié ?
Éternel débat ! Le problème n’est pas l’ISF en tant que tel (encore qu’avec un taux marginal de 1,5% on est très au-delà du rendement d’une obligation d’Etat à 10 ans qui est de 0,5%), mais c’est surtout l’addition des prélèvements sur le patrimoine et ses revenus (entre les prélèvements sur les intérêts ou les dividendes, les plus-values, l’ISF et les droits de succession). S’il comporte un intérêt moral et de justice sociale pour la plupart de la population, il reste un outil utile aux conseillers en gestion pour connaître le patrimoine de leurs clients et pour ajuster leurs offres et un repère statistique unique pour l’État pour connaître la fortune des plus gros contribuables français. Enfin, il faut garder à l’esprit le fait que l'ISF, du fait de l’exonération de l’outil de travail, frappe les millionnaires et exonère très largement les milliardaires. Il touche particulièrement les classes nanties, comme des cadres supérieurs parisiens ou des retraités propriétaires de leur 200 m² dans la capitale.
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